LES METHODES EN NEUROSCIENCES
L'imagerie cérébrale : le microscope de la psychologie
Au tournant des années 1990, de nouvelles techniques d'imagerie cérébrale anatomique et fonctionnelle sont apparues. On a commencé à observer le cerveau fonctionner, en temps réel, avec une précision jamais égalée jusqu'alors. Ce fut d'abord la tomographie par émission de positons (TEP), puis l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf). Ces techniques de visualisation du cerveau ont conduit à reconsidérer les relations étroites entre le cerveau et la psychologie, qu'il s'agisse de l'étude de la perception, de l'attention, de l'imagerie mentale, de la mémoire, du langage, des activités numériques, du raisonnement logique, de la conscience. Maintenant que de nouvelles méthodes d'imagerie permettent de visualiser les systèmes cérébraux de la pensée normale et pathologique, la cognition humaine pourrait être à l'aube de progrès similaires.
Voir le cerveau fonctionner
A la fin du XXe siècle, différents chercheurs, aux Etats-Unis et en Europe, ont su adapter à l'étude de la neurophysiologie du cerveau, les progrès contemporains de la physique, des mathématiques et de l'informatique. Il en ressort que l'on dispose aujourd'hui de méthodes d'imagerie tridimensionnelle qui produisent des images numériques reliées à l'activité des neurones en tout point du cerveau. Ainsi, dans le cas de la tomographie par émission de positons, on mesure le débit sanguin cérébral dans les différentes régions du cerveau par le biais de la concentration d'une molécule d'eau radioactive injectée au sujet de l'expérience. Dans le cas de l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle, on suit la concentration en désoxyhémoglobine, une molécule qui reflète l'oxygénation du sang. Dans les deux cas, le débit sanguin augmente localement pour réguler le métabolisme des aires qui participent à l'accomplissement des tâches cognitives étudiées par les psychologues. On « voit » ainsi le cerveau en action avec une résolution spatiale de l'ordre de cinq millimètres pour la tomographie par émission de positons et d'environ un millimètre pour l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle.
La nouvelle alliance entre psychologie et imagerie cérébrale
Dix ans de recherches, concentrées dans quelques laboratoires pionniers aux Etats-Unis, au Canada, en Europe et au Japon, ont déjà prouvé la fécondité d'une nouvelle alliance entre la psychologie et l'imagerie cérébrale dans tous les domaines de la cognition. En France, ces dernières années, le Département des sciences de la vie du CNRS a affiché son soutien à ce nouveau programme interdisciplinaire.
C'est à Paris que s'est tenue, en 1995, la première conférence internationale sur la cartographie du cerveau humain, conférence qui est devenue ensuite le congrès annuel de la discipline. Au fil des années, les participants ont constaté la place essentielle prise par l'imagerie cérébrale dans les travaux de psychologie, y compris ceux qui portent sur les fonctions cognitives supérieures, tels le raisonnement logique, les capacités mathématiques, la conscience. Outre les progrès techniques, l'étude des fonctions supérieures est le fait le plus marquant de ces dix dernières années, tant pour la psychologie que pour les neurosciences. Au début de l'imagerie, on observait, par exemple, comment s'activaient les aires cérébrales durant la perception visuelle d'une forme colorée, d'un mouvement, d'un mot isolé, ou encore lors de la formation de l'image mentale d'un objet lors de la lecture.
De nos jours, on peut examiner le cerveau d'un être humain vivant
La plupart du matériel étudié par les anatomistes consistait en coupes qui avaient été conservées ou en cerveaux entiers prélevés après la mort. Depuis longtemps, les scientifiques ont recherché des méthodes qui leur permettraient d'examiner le cerveau humain vivant, d'en voir les structures, et le fonctionnement de celles-ci pendant divers états comportementaux. Ce rêve est maintenant réalisé. Depuis le milieu des années 1970, des progrès techniques majeurs ont permis aux chercheurs d'établir des représentations détaillées du cerveau humain vivant. Ces techniques exigent une analyse informatisée complexe de mesures fournies, par les rayons X, par la distribution de substances radioactives dans le cerveau, ou par des changements dans les propriétés électromagnétiques des molécules dans le cerveau. Tous ces outils fournissent des images des structures profondes du cerveau humain vivant, ce qui améliore beaucoup l'évaluation clinique des altérations cérébrales et contribue à la recherche fondamentale.
Une radiographie ordinaire (aux rayons X) de la tête révèle les contours du crâne, avec peu ou pas de définition du tissu cérébral. La densité aux rayons X de toutes les parties du cerveau étant à peu près la même, le contraste apparaît faiblement entre les différentes régions du cerveau. Pour obtenir du contraste entre le tissu cérébral et les vaisseaux sanguins, les chercheurs injectent des colorants dans les vaisseaux. On appelle angiogrammes les images aux rayons X qui en résultent. Les angiogrammes fournissent une vue des contours des voies sanguines du cerveau et sont très utiles pour décrire les pathologies vasculaires, telles que l'accident vasculaire cérébral.
Quelques techniques de l'imagerie cérébrale
La tomographie
Les progrès en informatique, tant dans les ordinateurs que dans les logiciels, ont conduit à de nouvelles techniques. Celles-ci permettent d'intégrer dans une image du cerveau, différentes vues photographiées aux rayons X ; cette représentation ressemble à une coupe transversale. Ces images sont des tomogrammes (du grec tomos = « section » et gramma = « enregistrement » ou « image ») et la technique pour produire les tomogrammes est la tomographie assistée par ordinateur ou CT (computerized tomography). L'appareil utilisé est couramment appelé « scanner » à rayons X. Les tomogrammes sont réalisés grâce à une source mobile de rayons X fixée sur un arc situé autour de la tête. Le patient est étendu sur une table et sa tête est insérée au milieu d'un anneau en forme de beignet. La source de rayons X est déplacée sur une voie circulaire, et à chaque position, elle libère une petite quantité de radiations qui traversent la tête. Le degré d'absorption de cette radiation à l'intérieur de la tête dépend de la densité des tissus. Un anneau de détecteurs placé juste en face de la source de rayons X analyse la quantité de radiations qui a traversé la tête. Le tube à rayons X et les détecteurs sont alors déplacés vers une nouvelle position, et le processus est répété plusieurs fois. Une image composée est construite par ordinateur à partir de ces photographies prises aux rayons X sous différents angles autour de la tête. La méthode permet d'amplifier énormément de très petites variations de densité aux rayons X qui existent entre des tissus de diverses régions du cerveau.
Images de cerveaux atteints de démence obtenues par TEP
La figure ci-dessus représente un tomogramme typique d'un étage cérébral; chaque élément de l'image (ou pixel) qui entre dans la composition de l'image finale résulte d'une analyse mathématique complexe de cette petite région cérébrale photographiée sous différents angles.
La résolution spatiale de cette technique a encore été améliorée, au point que de très petites modifications, comme le rétrécissement d'une circonvolution, peuvent maintenant être visualisées. La figure 1a illustre l'utilisation de la CT dans l'étude des effets comportementaux d'un accident vasculaire cérébral. Cette technique a permis d'observer des changements cérébraux dans la maladie d'Alzheimer, la schizophrénie, la dyslexie, et dans bien d'autres troubles.
La tomographie assistée par ordinateur reste un outil des plus valables, bien qu'une nouvelle technique, l'imagerie par résonance magnétique (IRM) soit devenue un concurrent sérieux. L'IRM génère des images qui révèlent certains détails structuraux du cerveau vivant, sans qu'il soit nécessaire d'exposer celui-ci à des rayons X.
L'IRM
L'IRM se fonde sur l'utilisation des ondes radioélectriques et d'autres formes d'énergie magnétique. Le patient est étendu au centre d'un grand aimant, et l'effet moléculaire dû à l'application des champs magnétiques est enregistré par un détecteur à bobine dont les réponses successives sont analysées par ordinateur. L'image finale peut révéler des modifications extrêmement fines dans le cerveau telles qu'une perte de myéline autour de groupes d'axones, symptôme caractéristique des maladies démyélinisantes. Cette nouvelle technique a permis d'étudier amplement des anomalies structurales chez des individus de tous âges et de toutes conditions. Les images du fonctionnement physiologique du cerveau ont d'abord été obtenues par une technique appelée tomographie par émission de positons (TEP).
Pathologies détectées par la résonance magnétique du cerveau (IRM cérébrale).
Hématome sous-dural (flèche) exerçant un effet de masse sur le ventricule latéral droit. Coupe axiale T1.
1, Pôle frontal. 2, Ventricule latéral (gauche). 3, pôle occipital.
L'imagerie par émission de positons
Pour obtenir des images de l'état fonctionnel du cerveau, on injecte des substances chimiques radioactives dans la circulation sanguine. Ces radio-isotopes se dirigent vers le cerveau et leur émission peut être évaluée par des détecteurs situés à l'extérieur du corps. L'analyse informatisée de ces données révèle que l'absorption et l'utilisation de ces substances est différente dans des régions cérébrales distinctes. La substance la plus communément utilisée est un type de glucose radioactif qui est absorbé dans les différentes zones du cerveau selon leur niveau d'activité métabolique. La colorisation de cette information donne une image étonnante qui met particulièrement en lumière les aires d'intense activité métabolique. Cette technique permet d'établir des cartes métaboliques du cerveau pour certains états cérébraux tels que l'attention, les mouvements, les réponses à des stimulus visuels, et la prise de décision. Grâce à des techniques spéciales, on peut identifier des régions cérébrales qui sont activées par des stimulus ou des tâches spécifiques. De plus, on peut aussi reconnaître des régions ayant des réponses métaboliques anormales, alors que leur structure est intacte.
Identification d'une activité cérébrale spécifique
La tomographie par émission de positons (TEP) permet d'étudier l'activité du cerveau, spécialement dans les cas de maladies cérébrales ou de processus cognitifs. Généralement, la plus grande partie du cerveau est active, aussi l'identification d'une activité spécifique nécessite des méthodes spéciales.
Les sciences cognitives : nouveau paradigme pour comprendre le cerveau
De nos jours, la psychologie s'est enrichie des découvertes des neurosciences et de l'imagerie médicale sur le fonctionnement du cerveau et sur ses rapports avec le comportement. Depuis le début des années 80, on assiste à la naissance des sciences cognitives par le rapprochement de plusieurs disciplines autour de faits humains nécessitant, pour leur compréhension, une approche multidisciplinaire. Les sciences cognitives partent du principe que l'organisme est un système qui agit intelligemment dans son environnement, en se faisant de celui-ci des représentations mentales qu'il adapte sans cesse à ses besoins et à ses croyances.
La compréhension de ce que nous sommes repose d'abord sur la connaissance des racines biologiques du comportement, tant en ce qui concerne notre héritage génétique qu'en ce qui a trait au fonctionnement de notre corps, et plus particulièrement de notre cerveau. C'est pourquoi l'étude du fonctionnement du cerveau se révèle être fondamentale, dans la mesure où tout ce que nous faisons (de nos activités intellectuelles à nos pulsions en passant par nos comportements motivés) est régi par notre système nerveux en relation étroite avec les organes sensoriels, les muscles, les glandes, ainsi qu'avec les systèmes circulatoire, respiratoire et digestif. La connaissance toujours plus approfondie de la chimie du cerveau nous indique que les substances sécrétées par le cerveau sont chargées de déclencher et d'orienter les messages nerveux. C'est, en particulier, par l'action de ces substances que nous viennent les émotions, le stress, la faim, les rêves, etc. L'existence de l'être humain consiste en une interaction constante avec le monde environnant permettant à l'individu d'assurer son adaptation et, par là, sa survie depuis sa naissance jusqu'à sa mort. A tout instant, l'être humain se trouve confronté à des situations dont l'importance varie en fonction de ses besoins ou ses objectifs.
Comprendre le cerveau pour comprendre nos comportements
Il est donc à prévoir, dans un avenir proche, qu'aucune explication du comportement ou de l'activité mentale ne pourra plus être proposée sans qu'elle tienne compte des données fournies par les neurosciences. Le déclenchement d'un comportement constitue la dernière étape d'une série de deux : la première, l'activation de l'organisme telle qu'elle résulte de la confrontation des conditions internes de la personne et des objets ou des situations présentes dans l'environnement la seconde, le traitement que le cerveau fait subir à ces deux types d'informations externes et internes afin de mettre en place le comportement le plus adéquat compte tenu des éléments en présence et des expériences antérieures.
Ce que l'on désignait il y a une trentaine d'années par « fonctions cérébrales complexes » est actuellement désigné par « fonctions cognitives ». La plus grande partie de notre cerveau leur est dédiée. Elles englobent la totalité de nos comportements, notre « manière de vivre individuelle et sociale ».
Les fonctions cognitives, redécouvertes par nos connaissances sur le cerveau :
Schématiquement, en plus des fonctions d'intégration sensori-motrice, les fonctions cognitives comprennent :
- - les fonctions intellectuelles du cortex cérébral : apprentissage, mémoire, attention, intention ;
- - langage ;
- - raisonnement, pensée, créativité ;
- - les fonctions motivationnelles du système limbique et de l'hypothalamus ;
- - les comportements fondamentaux, alimentaires, dipsiques et sexuels ;
- - les comportements affectifs et émotionnels.
Les difficultés aussi bien techniques que conceptuelles que présente l'analyse de leurs bases neurobiologiques sont à la hauteur de l'intérêt qu'on leur porte. Malgré tout, le décodage de l'organisation structurale et fonctionnelle des régions cérébrales concernées a progressé grâce en particulier à :
- - l'accumulation continue d'observations cliniques chez l'homme établissant avec précision les signes et les symptômes qui résultent des lésions de différentes aires cérébrales;
- - l'arrivée de l'imagerie cérébrale « in vivo » et des cartes métaboliques ;
- - l'organisation d'expériences complémentaires conduites chez l'animal et en particulier chez les primates non humains, qui commencent à donner des indications sur les bases cellulaires, voire moléculaires de certains de ces phénomènes.
Sur la base de ces données ainsi rassemblées, il ne fait guère de doute que beaucoup de troubles neurologiques et psychiatriques finiront par livrer leurs secrets et que l'on pourra les assigner à des perturbations cellulaires et moléculaires affectant des régions impliquées dans les aspects les plus complexes du fonctionnement cérébral humain. La psychologie a trouvé ici une alliée dans l'imagerie cérébrale. Les psychologues et les neurobiologistes explorent le fonctionnement intime du cerveau, qui a cessé d'être une boîte noire.
Une collaboration fructueuse entre psychologues et spécialistes du cerveau
Aujourd'hui, la recherche de pointe sur les fonctions cognitives adopte le cerveau comme objet d'étude, la psychologie cognitive comme approche théorique et l'imagerie cérébrale comme méthode expérimentale. Les mécanismes complexes de pensée, le langage, le raisonnement logique, les capacités mathématiques, la conscience, incluant émotions et sentiments, ont été des questions longtemps réservées aux philosophes ou aux psychologues, mais l'alliance récente de la psychologie cognitive et de l'imagerie cérébrale marque les premiers pas d'un programme d'études associant psychologues et spécialistes du cerveau. Cette collaboration ne se limite pas à un échange de connaissances et à un enrichissement de la culture générale; aujourd'hui, les connaissances acquises changent notre rapport au monde. Nous découvrons l'intimité psychologique du cerveau humain et ses potentialités: ces données jettent un nouvel éclairage sur l'individu et sur la société. Après avoir résumé comment cette nouvelle discipline a émergé, nous examinerons, sur quelques exemples, comment notre vie quotidienne en sera changée.
Si la psychologie française du XXè siècle est bien devenue scientifique, le dualisme cartésien entre l'âme (rebaptisée cognition), et la matière (le corps et le cerveau) a continué de structurer les pratiques scientifiques et pédagogiques. Ce dualisme persistant n'est pas le propre de la psychologie française, une sorte de « démon hexagonal ». Il se retrouve au plan international, où l'on a longtemps considéré que seules comptaient les fonctions cognitives et leurs interactions; peu importent les structures neuronales (dans le cerveau) ou électroniques (dans un ordinateur) qui les sous-tendent.