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NEUROSCIENCES : RECHERCHES

 
 

18. SCIENCES HUMAINES & HYPNOSE

L'hypnose, le thérapeute et la science.

Presse Sorbonne Nouvelle
Sciences humaines
Élisa Brune

 

Pendant deux siècles, l'hypnose a été pratiquée en se heurtant continuellement au scepticisme des cercles scientifiques. Aujourd'hui, le cerveau se laisse ausculter en temps réel et l'hypnose devient un objet d'étude légitime en même temps qu'une pratique thérapeuthique.

À la fin du XVIIIe siècle, le médecin Franz Mesmer mobilisait sur ses patients ce qu'il appelait « un fluide animal », qu'il considérait comme une simple force naturelle, pas plus étrange que la gravitation d'Isaac Newton. L'establishment scientifique réagit avec suspicion face à cette nouvelle et étrange médecine, où il était question d'aimants, de « fluide magnétique », de guérisons spectaculaires. Une commission d'enquête nommée par le roi en 1784 rendit un verdict tranché : il ne s'agissait rien d'autre que d'une « médecine d'imagination ». En 1824, le chirurgien Jules Cloquet procéda à l'ablation du sein sur une femme atteinte d'un cancer, sans autre anesthésie qu'un « sommeil magnétique ». Là aussi, on accusa la patiente d'avoir « déguisé » les douleurs qu'elle éprouvait. L'histoire de l'hypnose est une longue suite de controverses, où les différentes manifestations du phénomène sont attribuées soit à des délires soit à des simulations.

A la fin du XIXe siècle, Jean Martin Charcot, neurologue à la Salpêtrière, étudie l'hypnose sur ses patientes hystériques et y voit l'une des manifestations de l'hystérie, donc un phénomène pathologique, tandis que les médecins Hippolyte Bernheim et Ambroise Liébault la considèrent comme le simple effet d'un protocole de suggestion réalisable sur n'importe qui. Ainsi, même parmi ceux qui prennent l'hypnose au sérieux, les interprétations varient du tout au tout et se focalisent entre deux pôles opposés : l'hypnose serait un état particulier du cerveau, autre que le sommeil ou la veille ; ou bien l'hypnose serait un simple mode de fonctionnement du cerveau dans son état de veille normal.

Autour de ces deux polémiques, imaginaire/réel et état/fonction, les débats et les études se sont succédé tout au long du XXe siècle sans fournir de piste sérieuse quant à l'existence d'un substrat neurophysiologique à la base de l'hypnose. Les tracés électroencéphalographiques ne permirent pas d'isoler des caractéristiques spécifiques. L'hypnose n'était décidément pas un sujet scientifique.


Un objet flou par nature

Sur le plan thérapeutique, l'hypnose n'avait pas la cote non plus, puisqu'elle avait été bannie par Sigmund Freud qui la jugeait trop dangereuse et difficile à contrôler. En France, Léon Chertok fut l'un des rares psychanalystes à oser la pratiquer et l'étudier dans son Laboratoire d'hypnose expérimentale, créé en 1971. Ses écrits récemment republiés relatent l'aventure intellectuelle d'un psychiatre qui aborde avec raison et pragmatisme un phénomène apparemment rebelle à toute mise au pas. « L'hypnose ne produit pas un état stable, mais un état qui fluctue continuellement, qui varie d'un sujet à l'autre et, pour un même sujet, d'une expérience à l'autre », écrit-il (1). De plus, les comportements observés sont fortement influencés par les représentations que les protagonistes se font du phénomène. La théorie et les attentes du thérapeute, en particulier, vont conditionner les réactions du patient. C'est ainsi que F. Mesmer observait des crises de convulsions, tandis que son élève, le marquis de Puységur, induisait des états somnambuliques très calmes. J.-M. Charcot produisait des crises d'hystérie, H. Bernheim étudiait une hypnose « de laboratoire » standardisée, et Milton Erickson, hypnothérapeute réputé pour faire confiance aux ressources de l'inconscient, obtenait des comportements fortement diversifiés. De même, la mise en hypnose peut présenter des variations extrêmes, dans le fond comme dans la forme : induction par la parole, souple ou autoritaire, prolixe ou discrète, induction par la focalisation du regard ou par la focalisation de l'ouïe, induction rapide (quelques secondes peuvent suffire) ou parfois interminable. Rien ne ressemble moins à une séance d'hypnose qu'une autre séance d'hypnose, et l'induction n'est même pas toujours nécessaire. Un sujet entraîné peut se plonger en autohypnose, volontairement. Mieux encore, tout un chacun, dans la vie quotidienne, passe par des phases de transe, plus ou moins profonde, sans s'en rendre compte.

Mais si les manifestations et les entrées en hypnose sont tellement diverses, en quoi peut-on parler d'un même phénomène ? En se rapportant à l'expérience subjective de la personne hypnotisée. Celle-ci réduit ses interactions avec l'environnement immédiat, parfois jusqu'à « perdre le contact » avec le monde extérieur, et s'immerge dans son monde intérieur. Elle devient particulièrement réceptive aux suggestions de l'inducteur d'hypnose, qui peuvent moduler sa perception de la douleur, ses perceptions sensorielles, sa mémoire, sa volonté ou sa perception du temps.


L'hypnose entre à l'hôpital

L. Chertok, tout en pratiquant l'hypnose thérapeutique, tenta, comme beaucoup d'autres praticiens de l'hypnose, de quantifier certains de ses effets, notamment en ce qui concerne la perception de la douleur. Mais de telles études se heurtaient toujours à la nature subjective des résultats. Pour une stimulation douloureuse donnée, les sujets rapportaient des niveaux de douleur moindres lorsqu'ils étaient sous hypnose que lorsqu'ils ne l'étaient pas, mais cette appréciation restait... une appréciation. Sans mesure objective, pas de science digne de ce nom.

Les résultats pratiques, cependant, étaient probants et une petite frange du corps médical utilisait l'hypnose comme technique analgésique, sans le revendiquer trop fort, puisque la caution scientifique manquait cruellement. Au CHU de Liège, l'anesthésiste Marie-Elisabeth Faymonville commence à utiliser l'hypnose en 1993. « J'étais alors responsable des grands brûlés et du département de chirurgie plastique, où l'on travaille beaucoup sous anesthésie locale avec sédatifs. Mais les médicaments ont leurs limites : à fortes doses, le patient devient inconscient et réagit par des comportements douloureux et agités. » Le chirurgien du service accepta de tenter l'expérience. Il ne s'agissait pas d'opérer sous hypnose seule, mais de combiner l'anesthésie locale, l'hypnose et des sédatifs en fonction des besoins. « J'ai appris les bases de la technique dans les livres et j'ai été la première surprise par les résultats. Non seulement les doses de médicaments diminuaient, mais les patients se sentaient très bien et parlaient même d'une expérience formidable. Je suis alors allée me former à l'Institut Milton-Erickson. Aujourd'hui, nous avons une expérience d'hypnosédation effectuée sur plus de cinq mille patients. »

En avril 2000, le journal The Lancet publie les résultats d'une étude menée à Boston par l'anesthésiste Elvira Lang sur 241 patients volontaires. Elle y décrit les effets positifs de l'hypnose sur le niveau de la douleur, le niveau d'anxiété, la consommation de médicaments, la fréquence des complications, la durée des interventions, ainsi que le bilan financier (2).

L'hypnose est aussi largement utilisée dans le traitement de la douleur chronique. De nombreux centres de traitement de la douleur, au moins un dans chaque grande ville en France, travaillent avec des hypnothérapeutes. A l'hôpital Ambroise-Paré, des milliers de patients ont été traités par l'hypnose depuis près de quinze ans. Le traitement est vu comme un complément à l'approche pharmacologique classique. Le docteur Didier Bouhassira, directeur du centre, souligne : « Il ne s'agit pas de guérisons miraculeuses - gare aux faux espoirs - mais de réduction de l'inconfort et des doses médicamenteuses. C'est un outil dans l'arsenal antidouleur, qui nous rend de grands services au quotidien, pourvu qu'on l'utilise à bon escient et au bon moment. »

Côté recherche, une étude de Marie-Claire Gay, Pierre Philippot et Olivier Luminet (3) compare trois groupes souffrant de douleurs chroniques et soumis soit à un traitement par l'hypnose, soit à la relaxation, soit à la condition standard (recours aux médicaments classiques). L'hypnose réduit la douleur ressentie par les patients de plus de 50 % en quatre semaines. La relaxation produit un effet moindre (30 %) et il lui faut huit semaines pour l'obtenir. Les deux thérapies permettent de réduire les doses de médicaments par rapport au groupe témoin. Ces résultats suggèrent que l'hypnose ne peut être ramenée à un effet placebo, ni à une simple relaxation.


Puis vint l'imagerie cérébrale

Vers la fin des années 1980 est apparue la tomographie par émission de positrons (TEP), une technique d'imagerie qui permet d'observer le cerveau en activité par le biais des variations locales du débit sanguin. On pouvait donner une tâche précise au sujet (effectuer un calcul, chanter une chanson) et voir quelles zones du cerveau s'activaient. On pouvait aussi comparer le fonctionnement du cerveau normal à celui du cerveau sous hypnose. En 1995, l'équipe du CHU de Liège lance une étude sur la perception de la douleur et obtient des résultats intéressants : la réponse au même stimulus douloureux n'est pas la même lorsque le cerveau est sous hypnose ou non (4). Et cette fois, les évaluations commencent à prendre une allure objective, car ce n'est plus le sujet qui parle, mais son cerveau, directement. Une équipe de Montréal menée par Pierre Rainville (5) montre que l'hypnose peut agir sur deux aspects distincts de la douleur : la sensation ou l'émotion. Ces deux composantes coexistent dans tout stimulus douloureux : un caillou dans la chaussure fait mal mais n'inquiète guère, tandis qu'une douleur au ventre ou dans la poitrine, même modérée, peut être très anxiogène. Sous hypnose, tout en maintenant une stimulation constante (au moyen d'une sonde thermique à 47 °C par exemple), on peut suggérer que l'intensité de la douleur s'accroît, mais pas son ressenti émotionnel, ou bien l'inverse. Dans les deux cas, la douleur augmente, mais ce ne sont pas les mêmes zones du cerveau qui s'activent. Autrement dit, les composantes sensorielle et affective de la douleur sont dissociables, tant sur le plan subjectif que sur le plan neurologique.

Ces premiers résultats ont permis d'asseoir une crédibilité scientifique pour l'hypnose. Depuis lors, des centaines d'études ont été menées, tant dans le domaine clinique que dans le domaine des sciences cognitives.


Les neurosciences entrent en scène

Dans une étude récente réalisée par Stuart Derbyshire (6), une sonde thermique est placée sur la paume de la main de sujets hypnotisés. On les prévient qu'un stimulus douloureux (la sonde atteignant 48,5 °C) se produira toutes les trente secondes. Mais dans la moitié des cas, le stimulus n'est pas administré - la sonde reste froide. Les sujets ressentent pourtant la douleur et présentent les mêmes schémas d'activation neuronale que si la sonde était chaude. Ainsi, le cerveau qui s'active normalement sous l'effet d'un stimulus pour l'amener à la conscience peut également « travailler à l'envers » et s'activer sous l'effet d'une suggestion. Selon P. Rainville, « on touche là au domaine encore controversé des rapports entre conscience et physiologie. Pour les neurophysiologistes, la conscience émerge du cerveau et n'a pas d'action sur le corps. Avec une approche comme l'hypnose, on montrerait plutôt qu'en modifiant l'expérience subjective on peut modifier la physiologie. » L. Chertok ne disait pas autre chose : « On peut provoquer un changement corporel au niveau cellulaire par des moyens purement psychologiques (7). » Il avait même expérimenté sur deux patientes la production de brûlures par suggestion hypnotique. Mais l'opinion scientifique demeura qu'un processus psychique ne pouvait pas agir sur des fonctions physiologiques ne relevant pas du système volontaire.

Maintenant qu'il existe une voie d'observation directe, tous les effets réputés se produire sous hypnose peuvent être investigués, et ils sont nombreux. Les hallucinations visuelles, auditives, tactiles, motrices, temporelles..., qui ont toujours été taxées de complaisance (le sujet se conforme inconsciemment aux attentes de l'hypnotiste) ou de simulation (le sujet joue délibérément un rôle) sont passées au crible de la machine. Avec des résultats étonnants. De manière générale, lorsque le sujet affirme avoir vu, entendu ou ressenti un stimulus qui n'existait pas, mais que l'hypnotiste lui a suggéré, son cerveau a réagi comme si le stimulus avait eu lieu pour de bon. Et cet effet se distingue nettement de la simple visualisation, dans laquelle on demande au sujet d'imaginer le stimulus. Dans ce cas, il est parfaitement conscient de penser au stimulus sans que celui-ci se produise vraiment - et l'image cérébrale est différente, tandis que sous hypnose il est persuadé d'avoir perçu le stimulus réel - et l'image cérébrale ressemble à la perception réelle. Pour le cerveau, tout se passe comme si le stimulus était là.

L'hypnose est couramment, et de plus en plus, utilisée en thérapie, mais il ne faudrait pas la confondre avec une thérapie. Un psychiatre peut utiliser l'hypnose, un dentiste aussi, un neurologue, un kinésithérapeute, un sexologue, un dermatologue, et dans tous les cas l'hypnose est une technique qui peut aider à atteindre le but recherché. Elle n'est pas une thérapie en tant que telle. L'hypnose contribue à mettre le patient dans un état de réceptivité favorable aux suggestions, mais seul un spécialiste du problème traité pourra formuler les suggestions souhaitables. L'éventail des applications possibles est très large, potentiellement illimité. En traitement de la migraine, par exemple, une hypnose ciblée, avec des suggestions portant sur la création de plages de calme, sur l'oubli de l'automatisme migraineux et sur la stabilité des vaisseaux sanguins parvient à réduire l'impact des facteurs favorisants ou déclenchants. On constate une amélioration chez deux tiers des migraineux réfractaires aux traitements classiques (8).

En psychothérapie, l'hypnose peut apporter son concours à une psychanalyse (non conventionnelle) aussi bien qu'à une thérapie brève. Dans tous les cas, l'hypnose est pratiquée sur un mode non autoritaire, bien éloigné du folklore de music-hall. L'idée que l'hypnotiste exercerait un véritable pouvoir sur son sujet n'a plus cours. C'est le sujet qui, par sa confiance, accorde un pseudopouvoir à l'hypnotiste. Il y a un pacte de collaboration entre eux sans lequel aucun travail ne serait possible. Pour le psychothérapeute Thierry Melchior (9), l'hypnose a des effets particuliers parce qu'il s'agit d'une relation particulière, qui renverse les règles de la communication et brouille les repères habituels. Ainsi écarté de son « mode d'être » normal, le patient est susceptible de s'écarter aussi des schémas qui structurent son comportement et le limitent. Il pourra découvrir de nouvelles ressources et potentialités pour résoudre ses problèmes.

NOTES

1 -L. Chertok, Mémoires. Les résistances d'un psy, Odile Jacob, 2006.
2-E. Lang et al., « Adjunctive non pharmacological analgesia for invasive medical procedures: A randomised trial », The Lancet, vol. CCCLV, 29 avril 2000.
3 -M.-C. Gay, P. Philippot et O. Luminet, « Differential effectiveness of psychological interventions for reducing osteoarthritis pain: A comparison of Erickson hypnosis and Jacobson relaxation », European Journal of Pain, 2002.
4 - P. Maquet, M.-É. Faymonville, C. Degueldre, G. Del Fiore, G. Franck, A. Luxen et M. Lamy, « Functional neuroanatomy of hypnotic state », Biological Psychiatry, vol. XLV, n° 3, février 1999.
5 - P. Rainville, G.H. Duncan, D.D. Price, B. Carrier et M.C. Bushnell, « Pain affect encoded in human anterior cingulate but not somatosensory cortex », Science, vol. CCLXXVII, n° 5328, 15 août 1997.
6 - S. Derbyshire, M.G. Whalley, V.A. Stenger et D.A. Oakley, « Cerebral activation during hypnotically induced and imagined pain », NeuroImage, vol. XXIII, n° 1, septembre 2004.
7 - L. Chertok, op. cit.
8 - A. Violon, « L'apport de l'hypnose dans le traitement de la migraine », Revue médicale suisse, n° 644, 2001.
9 - T. Melchior, Créer le réel, Seuil, 1998.

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